Il y a quelques jours, l’ex gouverneur du Katanga, Moïse Katumbi, a été désigné comme candidat du G7 (groupe de 7 partis politiques ayant quitté la famille politique de Joseph Kabila : la Majorité Présidentielle) à la prochaine élection présidentielle en RDC. En effet, pour ceux qui suivent l’actualité politique congolaise de près, cette annonce était plutôt attendue et logique. Aussi, elle a eu le mérite de provoquer quelques réflexions sur l’avenir politique de la République Démocratique du Congo.
Moïse Katumbi, fin stratège ?
Moïse Katumbi a des atouts incontestables. Sans prétendre tous les connaître, nous pouvons en citer quelques uns.
C’est avant tout un enfant du Katanga. Bien que démembrée, cette province pèse lourd sur l’échiquier politique de la RDC, sur son économie et sur son poids démographique notamment en terme d’électorat. Cette appartenance katangaise lui confère un avantage non négligeable. Il serait richissime, et aurait une solide expérience dans le monde des affaires. Gouverneur du Katanga pendant plusieurs années et ancien membre du PPRD (le parti de Joseph Kabila), son expérience est également politico-administrative. Enfin, il est jeune, dynamique et très populaire.
Cependant, de nombreuses faiblesses entourent sa personnalité politique.
Il a été un soutien indéfectible de Kabila lors des scrutins présidentiels de 2006 et 2011, qualifiés de chaotiques. Alors que les partis d’opposition criaient à la fraude, sa fidélité a en partie permis à Kabila de se maintenir au pouvoir malgré des irrégularités compromettant la crédibilité des deux derniers processus électoraux. On pourrait dire, comme pour de nombreux politiciens congolais, qu’il a « fait » Joseph Kabila.
A ce jour, on ne lui connaît aucun véritable programme politique, ni projet de société clair, planifié et réaliste répondant aux défis actuels de la RDC. Quelles sont les priorités, comment les atteindre et avec quels moyens ? C’est le floue, le silence.
Aussi, de nombreuses personnes s’interrogent sur sa probité dans la gestion des contrats financiers au Katanga. Si d’aucuns pensent que sa richesse est un rempart contre la tentation de l’enrichissement personnel, d’autres au contraire s’inquiètent d’avoir à la tête de l’Etat un homme qui serait tenté de s’enrichir davantage ou de soumettre davantage l’économie du pays aux intérêts capitalistes étrangers.
Enfin, sa désignation par le G7 ne semble pas indiquer qu’il y aura une véritable rupture avec le système actuel. Les membres du G7 appartiennent à cette catégorie de politiciens congolais qui ont soutenu Kabila en dépit de la grave crise de légitimité entourant sa ré élection depuis 2011 et en dépit de toute la violence de ce régime qui a vu une minorité s’enrichir ostentatoirement au détriment de l’immense majorité de la population qui vit dans des conditions infra humaines, voire animales.
Tenant compte de ce qui précède, on peut poser l’hypothèse que la stratégie actuelle de Moïse Katumbi comporte au-moins les deux aspects suivants :
-se présenter comme « l’alternative » la moins pire ou la plus crédible à Joseph Kabila. En effet, à l’instar du vieux Tshisekedi, Katumbi est un homme d’affaire jeune, dynamique et riche. Pour booster sa popularité, il manie très habilement religion et football (une « autre religion »). L’occupation de l’espace médiatique est parfaitement maîtrisée, en témoigne sa présente sur les réseaux sociaux et sur les plateaux de télévision.
-apparaître comme le « rassembleur » de l’opposition congolaise. A cet effet, les différents contactes entrepris avec les dirigeants des partis d’opposition peuvent être de sérieux indices.
Si Moïse Katumbi réussit à revêtir ces deux costumes, ce sera un réel coup gagnant pour doper sa stature de présidentiable.
L’opposition congolaise sous pression ?
L’entrée en scène de Moïse Katumbi a déstabilisé encore un peu plus une opposition congolaise en quête d’unité et en manque d’un véritable meneur !
Du côté de l’UDPS, Etienne Tshisekedi, vieux et convalescent, peine à tenir les rênes de son parti, l’UDPS. Cacophonies, doutes, contradictions ou démissions témoignent d’une réelle crise de leadership au sein du parti. Tous les appels des cadres à un congrès national du parti pour des réformes efficaces et pour régler l’épineuse question de la succession de Tshisekedi sont restés lettre morte. Etienne Tshisekedi ne semble pas prêt à passer la main et pourtant, handicapé par l’âge et la maladie, il n’incarne plus cet homme capable de porter un combat politique d’envergure, fussent-ils ceux du respect de la Constitution, de l’alternance ou de la présidence de la République.
Nous rappelant les conséquences sur la politique nationale des choix tactiques de l’UDPS en 2006 (non participation aux scrutins législatifs et présidentiels) et en 2011 (participation en rejetant une candidature unique de l’opposition), on peut imaginer l’UDPS sous pression. Va-t-elle accepter l’idée d’une candidature unique pour toute l’opposition et dans quelles conditions ? L’UDPS est-elle capable de s’aligner derrière un candidat autre que Tshisekedi ?
Pour l’ensemble de l’opposition congolaise, la désignation de Katumbi comme candidat du G7 fait remonter en surface toute la méfiance, toutes les suspicions et le souvenir de toutes les compromissions qui ont été à la base de l’incapacité de la classe politique congolaise d’apporter des changements significatifs dans la vie du peuple depuis 1990, année du multipartisme.
La désignation de Moïse Katumbi renvoie aujourd’hui toute cette classe politique congolaise à la question essentielle de sa maturité. Non qu’il faille s’allier avec n’importe qui pour battre un adversaire commun, mais plutôt sur sa capacité à travailler ensemble pour un intérêt commun suprême : celui de voir ce peuple enfin vivre pleinement et dignement.
Moïse Katumbi, un allié objectif de l’opposition ?
Le tout est avant tout de savoir ce que cache le mot « opposition ».
Pour une partie de la population congolaise, en ce compris de nombreux hommes politiques, l’opposition se conçoit comme le rejet de l’individu Kabila. Kabila serait le noeud la cause de tous les maux du Congo. L’incarnation de l’échec d’une nation. Vu de cette manière, Katumbi pourrait devenir un allié objectif pour le remplacement de Kabila. On ne touche pas trop au système en place, ni à ceux qui gouvernent et on ne remplace que la tête. Les prescrits constitutionnels portant la limite à deux mandats présidentiels pour un président seraient respectés.
Pour une autre frange de la population, s’opposer sous-entend l’idée du rejet absolu du système politique actuel en tout ce qu’il a de mafieux, de cleptomane, de corrompu, d’injuste, de répressif, d’anti progrès et d’assujettissement aux dictats occidentaux. Rompre avec ce système et le remplacer par un autre, plus social et plus juste, respectant les libertés fondamentales et répondant aux préoccupations légitimes de la population, cela devrait être l’essence même de toute opposition. Par conséquent, vu sous cet angle, il est difficile de parier, à ce stade, que Moïse Katumbi soit le candidat idéal, ni par ailleurs Vital Kamerhe, Felix Tshisekedi, Martin Fayulu, Matungulu, etc. Seuls l’exercice de la fonction et la réalisation des projets de société pourraient donner des éléments de réponse à ces questions.
Vers une « bipolarisation » de l’espace politique congolais ?
Au vu du tableau actuel proposant un large regroupement des partis d’ « opposition », serions-nous aux prémisses d’un jeu politique congolais dans lequel la coalition des partis d’opposition s’impose en solution pour « déboulonner » un autocrate ? Une sorte de bipolarisation qui consisterait à mettre face à face les partisans d’un régime récalcitrant à ceux de l’alternance démocratique et constitutionnelle.
Cette bipolarisation de l’espace politique en période électorale soulèverait le défi pour l’opposition de pouvoir se rassembler autour d’un candidat unique, ce qui n’est pas sans apporter son lot de crises pré et post électorales.
Peut-on vraiment faire du neuf avec du vieux ?
Les tares de la société congolaise actuelle sont connues : corruption, injustice, détournement, répression, assassinat, enrichissement illicite, … Présentes depuis près de 50 ans, elles ne semblent pas reculer. Au contraire, elles touchent même les enfants dès leur plus jeune âge. Et même la plupart des musiciens en sont devenus de malheureux chantres.
Les acteurs politiques de ces dernières décennies n’ont pas été, dans leur grande majorité, des exemples de probité morale pour le peuple. Quasi tous ont participé aux systèmes « tarés » de Mobutu, puis de Kabila. Un exercice simple consiste à suivre, de manière individuelle, les parcours politiques de ceux qui paradent aujourd’hui au devant de la scène politique congolaise et à les analyser. On se rend très vite compte qu’ils reproduisent les mêmes maux et les mêmes vices, aidés par une sorte d’amnésie collective d’un peuple à la mémoire courte et toujours prompt à pardonner!
En conclusion, il semble difficile de croire à un renouveau du Congo avec la classe politique actuelle. La véritable rupture devra être avant tout idéologique puis sociale avant d’être politique. Et cette idéologie nouvelle devra prendre corps en chacun des membres de la nouvelle génération de dirigeants congolais. L’instruction et l’éducation restent sans conteste des moyens obligés pour y parvenir car elles permettent d’inculquer au citoyen, dès son plus jeune âge, ces valeurs essentielles à la construction d’une nation : le patriotisme, le respect du bien commun, la quête de l’intérêt général et la responsabilité collective des citoyens.
Didier Kamidi Ofit
09/04/2016